Il y a environ 245 millions d’années, le Massif Central était recouvert d’une mer !
Il y a environ un an, je faisais la connaissance de l’artiste Caroline Desnoëttes !
Ces deux dates sont liées, vous allez comprendre ensuite pourquoi.
Autour d’un café, nous imaginions rapidement le projet d’une exposition dans La Chapelle de l’École d’Art de Riom. L’artiste me posa alors la question « qu’est-ce qu’on trouve comme matériau naturel dans le coin, autour de Riom ? ». Je lui répondis, un peu railleur : « dans le coin, de la terre, de la paille et quelques vaches ». Quelle ne fut pas ma surprise quand elle me répondit que c’était un bon départ et que ça lui suffirait déjà bien amplement.
Certaines phrases, certains mots, orientent parfois notre futur dans des directions jusque-là inenvisageables. A la suite de cette simple phrase sur la terre, la paille et les vaches, une succession d’événements assez étranges, voire quasiment loufoques, se sont déroulés dans les mois suivants : j’ai dû faire acheter une cinquantaine de bottes de paille par la collectivité, nous sommes aller creuser dans la terre de la Vallée des Saints (près de Boudes) afin d’en extraire des pigments, nous avons percé environ 10000 coquilles Saint-Jacques (vides), et écouter un bio acousticien nous parler du chant des baleines ! J’ai aussi appris à faire sécher des cornes de vaches, l’enseignant de sculpture de l’école a littéralement soudé un igloo, la Grotte de Lascaux m’a envoyé un colis comportant plusieurs dizaines de couvertures de survie (emballées dans un sac Tati) et enfin j’ai vu Caroline Desnoëttes faire un shampoing (spécial cheveux fragiles) à une vingtaine de queues de vaches !
Le visiteur ignore souvent la genèse d’une œuvre, d’une exposition et comment, voir où, un artiste trouve son idée, ses inspirations. Au contraire de l’image d’Épinal de l’artiste seul face à son génie (ou sa détresse) dans son atelier, Caroline Desnoëttes a une façon de créer, disons, humaniste. C’est une artiste dont le médium principal est, pourrait-on dire, la rencontre. Elle fonctionne à l’échange, au vis-à-vis, à la discussion. Dans une période relativement confinée et ou les interactions sont complexes, pour elle, les autres, ce n’est toujours pas l’enfer, mais un moteur, une motivation. En vérité la création de ses œuvres se fait dans l’articulation entre une rencontre, un matériau et une possibilité technique.
C’est là que la mer qui recouvrait le Massif Central il y a 245 millions d’années entre en jeu. Au détour d’une conversation, ou d’une lecture (à vrai dire je ne m’en souviens plus), Caroline découvre que l’on trouve en Auvergne des coquilles Saint-Jacques fossilisées. Et oui, il y a bien longtemps point de plaine de la Limagne, de puys, de Sancy etc. mais une belle mer remplie de coquilles Saint-Jacques.
Vous l’aurez compris donc, chacune des œuvres présentées ici a pour point de départ un matériau : les coquilles Saint-Jacques pour l’igloo, la terre donc pour les dessins, la paille pour l’installation au sol, et les cornes et queues de vaches pour une sorte de colonne sans fin de Brancusi version agricole. A la suite des matériaux, s’en est suivi à chaque fois, une discussion, des tests et enfin la vision d’une œuvre avant sa création finale. Certains de ces matériaux sont bruts et d’autres transformés. Les œuvres présentées devant vous sont simples (dans le bon sens du terme), presque évidentes, et d’une clarté esthétique étonnante. Caroline Desnoëttes nous invite ici à une balade, une contemplation ou presque tous nos sens sont mobilisés. A partir du vivant, elle convoque des formes et des postures. Elle nous donne à voir une vision légèrement déplacée de la beauté qui se trouve habituellement sous nos yeux et qu’on ne regarde pourtant pas.
Alexandre Roccuzzo
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